Décision judiciaire et droit à l’oubli sur Internet : le déréférencement par Google d’un article archivé

Un expert-comptable, qui avait été condamné pour escroquerie soutenant que, bien qu’archivés par le journal qui avait relayé l’info sur son site internet, les deux comptes-rendus d’audience étaient toujours accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, et reprochant à la société Google Inc., aux droits de laquelle vient la société Google LLC, exploitant de ce moteur de recherche, d’avoir refusé de procéder à la suppression des liens litigieux, l’assigne aux fins de déréférencement.

Conformément à l’article 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018, qui a transposé l’article 8 § 5, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, applicable en la cause, les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en œuvre que par les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales, les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l’exercice des missions qui leur sont confiées par la loi, et les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du Code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d’atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d’assurer la défense de ces droits.

Saisi de quatre requêtes portant, notamment, sur le droit au déréférencement de telles données, le Conseil d’État a renvoyé à la CJUE les questions préjudicielles qui suivent :

Eu égard aux responsabilités, aux compétences et aux possibilités spécifiques de l’exploitant d’un moteur de recherche, l’interdiction faite aux autres responsables de traitement de traiter des données relevant des paragraphes 1 et 5 de l’article 8 de la directive du 24 octobre 1995, sous réserve des exceptions prévues par ce texte, est-elle également applicable à cet exploitant en tant que responsable du traitement que constitue ce moteur ?

En cas de réponse positive à cette question,

Les dispositions de l’article 8 paragraphes 1 et 5 de la directive du 24octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que l’interdiction ainsi faite, sous réserve des exceptions prévues par cette directive, à l’exploitant d’un moteur de recherche de traiter des données relevant de ces dispositions l’obligerait à faire systématiquement droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web qui traitent de telles données ?

Dans une telle perspective, comment s’interprètent les exceptions prévues à l’article 8 paragraphe 2, sous a) et e), de la directive précitée, lorsqu’elles s’appliquent à l’exploitant d’un moteur de recherche, eu égard à ses responsabilités, ses compétences et ses possibilités spécifiques ?

En particulier, un tel exploitant peut-il refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu’il constate que les liens en cause mènent vers des contenus qui, s’ils comportent des données relevant des catégories énumérées au paragraphe 1 de l’article 8, entrent également dans le champ des exceptions prévues par le paragraphe 2 de ce même article, notamment le a) et le e) ?

De même, les dispositions de la directive doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque les liens dont le déréférencement est demandé mènent vers des traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire qui, à ce titre, en vertu de l’article 9 de la directive, peuvent collecter et traiter des données relevant des catégories mentionnées à l’article 8, paragraphes 1 et 5, de cette directive, l’exploitant d’un moteur de recherche peut, pour ce motif, refuser de faire droit à une demande de déréférencement ?

En cas de réponse négative à la question,

Quelles exigences spécifiques de la directive l’exploitant d’un moteur de recherche, compte tenu de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités, doit-il satisfaire ?
lorsqu’il constate que les pages web, vers lesquelles mènent les liens dont le déréférencement est demandé, comportent des données dont la publication, sur lesdites pages, est illicite, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles imposent à l’exploitant d’un moteur de recherche de supprimer ces liens de la liste des résultats affichés à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom du demandeur ou qu’elles impliquent seulement qu’il prenne en compte cette circonstance pour apprécier le bien-fondé de la demande de déréférencement ? ou que cette circonstance est sans incidence sur l’appréciation qu’il doit porter ?

En outre, si cette circonstance n’est pas inopérante, comment apprécier la licéité de la publication des données litigieuses sur des pages web qui proviennent de traitements n’entrant pas dans le champ d’application territorial de la directive du 24 octobre 1995 et, par suite, des législations nationales la mettant en œuvre ?

Quelle que soit la réponse apportée à la question, indépendamment de la licéité de la publication des données à caractère personnel sur la page web vers laquelle mène le lien litigieux, les dispositions de la directive doivent-elles être interprétées en ce sens que lorsque le demandeur établit que ces données sont devenues incomplètes ou inexactes, ou qu’elles ne sont plus à jour, l’exploitant d’un moteur de recherche est tenu de faire droit à la demande de déréférencement correspondante ? Plus spécifiquement, lorsque le demandeur démontre que, compte tenu du déroulement de la procédure judiciaire, les informations relatives à une étape antérieure de la procédure ne correspondent plus à la réalité actuelle de sa situation, l’exploitant d’un moteur de recherche est tenu de déréférencer les liens menant vers des pages web comportant de telles informations ?

Enfin, les dispositions de l’article 8 paragraphe 5 de la directive doivent-elles être interprétées en ce sens que les informations relatives à la mise en examen d’un individu ou relatant un procès, et la condamnation qui en découle, constituent des données relatives aux infractions et aux condamnations pénales ? De manière générale, lorsqu’une page web comporte des données faisant état des condamnations ou des procédures judiciaires dont une personne physique a été l’objet, entre-t-elle dans le champ de ces dispositions ?